Eso à l'improbable

Esoria s’était levée ce matin avec les traces d’une nuit de torture sous les yeux, vidée de son entrain habituel. Sa joie de vivre s’était ternie au cours de cette affreuse nuit. Elle ne s’était pas réveillée qu’une fois et avait fait le même cauchemar toute la nuit : Kioso, son meilleur ami assassiné par un mage noir, l’appelait à l’aide… Elle ne savait pas comment. Elle avait vu son corps étendu sur le sol, immobile, comme mort. Et pourtant, elle savait qu’il l’appelait. Elle a toujours cru en la magie quelque part, mais cette nuit plus que jamais. Elle avait même été jusqu’à se dire que son ami aurait pu survivre en faisant un marché avec un hybride démoniaque ou une autre sordide affaire dont il était capable… Ce matin donc, elle s’est réveillée, s’est douchée, s’est habillée, et est sortit. Rituel inébranlable d’Eso : sortir tout les matins le plus vite de chez elle, pour y rentrer le plus tard.

Par habitude, elle se dirigea vers le port. Elle aimait sortir du semi-coma matinal en se berçant des bruits des vagues et des cris des pécheurs vendant leurs récoltes. Il y avait comme elle, des passants qui s’arrêtaient cinq minutes, pour se détendre et regarder l’horizon… Vers quel avenir couraient-ils tous ? Où les mènerait une vie paisible en ce temps de guerre et de chaos ? Comment pourrait-il lutter contre les forces noires qui les entouraient et qui peu à peu prenaient possession des terres, des mers, des corps ? Les mœurs avaient changées.

Quand elle se fut poser ses questions existentielles du matin – elle le faisait toujours, juste au cas où, Eurêka, elle aurait inconsciemment trouvé une réponse pendant la nuit – elle se dirigea vers l’Improbable. C’était une taverne agréable où elle avait l’habitude d’aller. Elle venait, faisait le tour du bar pour dire bonjour aux habitués, prenait une bière et s’asseyait seule a une table dans un coin de mur. C’est ce qu’elle fit encore aujourd’hui. Elle s’installa d’un un coin à droite tout au fond de la salle, afin de toujours avoir une vue sur les entrées et sorties du pub. Derrière elle était accrochée une grande affiche qui menaçait de lui tomber dessus, elle représentait un bateau pirate qui semblait s’attaquer à la ville portuaire. L’ambiance sombre et réelle de l’affiche laissait présager qu’Ondine s’était reconstruite il y a peu. Complètement détruite, dépouillée, la capitale d’Ultramar avait été pillée, ses habitants tués ou violés… L’affiche pendait au mur comme une feuille de chêne en saison Automnale. Elle se retourna, observa un moment la représentation et se retourna sur sa bière avec dépit. Elle se roula une cigarette se l’alluma. Elle tira une latte.

Pfiouu. C’est bon. La première du matin, c’est très important pour Eso, c’est celle qui permet de faire le point sur la nuit passée, sur les réponses trouvées (ou pas) aux questions posées, c’est le moment de faire la part des choses. Deuxième latte ; elle sourit. Elle pensait a son passé. Capion lui manquait quelque part … Elle termina sa cigarette dans une ambiance de profonde mélancolie intérieure et attendant quelque chose, ou peut-être rien.

Elle commanda une seconde bière et attendit …

Depuis quelques temps, Astorias - Mage Noir Nécromancien – avait dût reprendre ses recherches. L’une des âmes qu’il avait aspiré afin d’allonger sa vie avait gardé une grande part de la personnalité de l’hôte à la quelle elle avait appartenu. Il avait dès lors été assaillit par des flashs de souvenirs et de volonté de retrouver une femme humaine.
Sous l’influence de cette âme, Astorias avait quitté le Palais Démoniaque pour se rendre à Ondine, la capital du continent d’Ultramar, afin d’y retrouver la jeune humaine.

Le Mage avait débarqué à Ondine dans la nuit. Il avait marché à travers les rues jusqu’à l’aube en quête d’un quelconque indice qui lui permettrait de mettre la main sur la jeune femme. Mais rien. Il avait tenté d’interroger quelques humains croisés au détour de ruelles sombres, des clochards ou de médiocres petits voleurs. Ceux-ci, intrigués de prime abord par la haute stature de l’armure, s’étaient vus envahit d’une profonde terreur à l’écoute de la voix caverneuse qui résonnait de l’intérieur de l’armure vide. Finalement, lorsqu’ils se voyaient incapable de lui répondre, Astorias mit fin à leurs jours d’un coup d’épée.
Au matin, il décida de se rendre dans les pubs de la ville, espérant y trouver la jeune femme. Ondine s’était peu à peu éveillée. Le ciel était bleu et un soleil pâle illuminait la capitale. Arrivée dans la rue des commerces le mage dût se fondre dans la masse, ce qui n’était pas évident étant donné l’impressionnante armure noire qui renfermait son âme, et qui faisait tache dans cette ambiance colorée. Cependant il passa presqu’inaperçu ; mise à part quelques regards curieux, les humains n’eurent aucune réaction face à cet apparent chevalier sombre.

Après une centaine de mètres, un premier pub se présenta à Astorias. L’improbable. Il s’arrêta un instant face à la bâtisse, puis entra. L’atmosphère lui fut tout de suite insoutenable ; ces relents de convivialité, ces humains entassés dès le petit matin et déjà à poivroter. Bref, ce genre de lieux ne lui inspirait qu’un profond dégoût. Une vive envie de destruction s’empara de lui. Mais il se retînt. Il avait un but bien précis. Il devait la retrouver. Il scruta la salle…

Esoria s’était lancé dans une discussion philosophique intérieure profonde quand elle remarqua que sa roulée s’était éteinte. Elle s’empressa de la rallumer et de tirer dessus comme une forcenée afin de raviver la flamme des cendres de tabac qui recommençaient peu à peu à bruler. Elle arrivait aussi à la fin de sa deuxième bière.


« P’tain, même pas 10heures du mat et déjà deux bières dans le bide… » Lâcha t-elle sur un ton dépité. Elle tendit l’oreille quelques instants, comme à son habitude.

* Alors que raconte les nouvelles brèves de comptoir ces temps-ci ? *

Tinian semble avoir quitté sa femme pour une jeunette de 25ans ; Bast raconte combien il est difficile en ce moment pour lui de faire son chiffre d’affaire avec tous ces pirates sur les mers, et tous les nouveaux pécheurs qui s’approprient ce qui était Sa mer ; et Sitra racontait que son mari étais toujours aussi buté sur ses idées politiques et que cela devenait source de problème au sein de leur couple, en somme rien d’intéressant, rien de niveau national, rien quoi.

Ce n’était vraiment le bon bar pour cette journée. Oui, a jeune femme avait établit une sorte de planning. Et aux vues de l’énergie plutôt maussade qui se dégageait d’elle, elle ne devait pas rester à l’Improbable aujourd’hui… Allé plutôt à La Toupie… Oui, c’est préférable. L’improbable est un pub familial, accueillant, toujours bon vivant, mais l’ambiance qui régnait aujourd’hui sur le bar puait un peu trop le bonheur hypocrite pour Eso. Aujourd’hui elle n’avait pas envie de se voiler la face et parler bonheur et avenir, aujourd’hui, c’était un jour où elle préférerait parler névroses et passé… Il lui fallait la Toupie ! Pouvoir tournoyer lentement autour d’elle-même, buvant un double whisky sans glace, fumer cigarette sur cigarette et s’enfoncer doucement dans une léthargie mélancolique qui l’assommerait pour la soirée. Eso n’avait pas envie de faire des efforts pour être bien, alors pour cette journée du moins, elle serait mal.

Elle vida d’un trait les 4 gorgées de bière qu’il lui restait et alla au bar payer sa commande. En attendant que Vigh, le barman chauve, muni que d’une oreille, vienne la voir, elle se roula une clope. Tabac, feuilles, filtres, argent c’est bon, elle était équipée pour vivre sa journée à fond. Elle se retourna, une fois sa clope au bec, prête à l’allumer, face à la porte d’entrée, les coudes posés sur le bar. Briquet sans gaz, l’horreur … Elle sortit son petit paquet d’allumettes « de secours » et s’alluma la clope. Elle tira longuement sur la première latte et recracha une volute de fumée blanchâtre malodorante du tabac sec et fort style Orlando ou Gauloise.

Elle s’apprêtait à prendre une seconde latte quand une masse s’interposa entre elle et la lumière du soleil qui l’illuminait et la réchauffait. Elle eut du mal tout d’abord à distinguer ce qu’était cette « chose », puis quelques secondes après elle sentit comme une forte douleur dans les yeux. Elle avait la tête qui tournait, voyait flou. Elle avait rarement des migraines pourtant … Elle releva lentement la tête et regarda le sombre être qui n’avait pas bougé de l’encadrement de la porte. Elle ressentit de nouveau une douleur aiguë dans les yeux lorsqu’elle les posa sur les deux fentes du casque de son armure. Or à travers ces fentes, il n’y avait rien, pas d’œil, pas de corps, rien, vide sidéral, elle dut être la seule à voir où a comprendre ce qui se passait car personne ne remarqua quoi que ce soit d’anormal … Elle se retourna par peur comme si elle espérait qu’il ne l’avait pas vu. Elle avait peur que cette chose la cherche mais ce qi lui faisait le plus peur, c’était le fait qu’elle se sentait attirée par lui. Quelque chose d’abstrait obligatoirement, mais quelque chose l’attendais en lui et cette chose devenait impatiente. Elle n’osa pas faire quoi que ce soit et décida pour le moment de rester encore un peu ici, histoire de voir s’il se passait quelque chose…

* Qui est-il ? Qu’est ce qu’il est ? Pourquoi suis-je attiré par ça, ptain ?! Allé un peu d’action la merde … *

Elle tira sur sa clope et la jeta par terre, elle l’écrasa du bout de son talon et posa sa tête sur ses bras reposant eux-mêmes sur le bar. Nom de Dieu, Kioso lui manquait dans ces moments- la. Elle aurait tant aimé qu’il soit présent aujourd’hui …

A droite, une table ronde en bois était entourée par trois humains d’aspect gras, tenant chacun une chope de bière dans une main et des cartes dans l’autre. A gauche une autre table similaire était occupée par deux femmes fumant de longues cigarettes fines et riantes entre elles. Un peu partout la salle était équipée par des tables de bois rondes, presque toutes occupée par des humains d’aspect joyeux, souvent rebondis par l’excès d’alcool, en train de fumer. En face, au bar, le serveur était occupé à compter l’argent d’un client. Puis une humaine en particulier attira son attention. Dos à lui, elle semblait cependant l’épier, la seule ici à faire attention à sa présence.

« C’est elle … » pensa-t-il.

Il s’approcha du bar dans un bruit de métal, sans prêter attention aux regardx des clients qui venait seulement de se rendre compte de la présence d’un immense chevalier en armure noire. Le bruit des discutions s’amenuisait, laissant place à un murmure d’interrogation collectif. Tous les regards étaient à présent braqués sur lui ; tous, non. La jeune femme était toujours tournée vers le bar. Une fois arrivé derrière elle, tous les murmures s’arrêtèrent.
Grande, mince, mat, cheveux longs, noirs, robe noire… Il ne pouvait s’y tromper. Les souvenirs de l’hôte dont il avait aspiré l’âme lui avait souvent montrés cette jeune humaine. Astorias ressentait alors comme un profond désir de la retrouver. Pourtant il ne la connaissait pas, ne la voyait que pour la première fois, et comptait bien se débarrasser d’elle afin que ce fut la dernière et qu’elle cesse de hanter son esprit. Il ne pouvait se permettre de perdre un si précieux temps dans de telles divagations. Pour lui le temps était précieux. C’était d’ailleurs la raison pour laquelle il tente depuis toujours de lutter contre celui-ci, afin que le temps ne soit plus un obstacle. Il ne désirait qu’une chose, vaincre le temps. Un souvenir lui revint.

Il était entré dans l’Ecole de Magie d’Elessar, il y a longtemps – combien de temps ? – et avait apprit les rudiments de la discipline. Après avoir acquit un pouvoir certain, il s’était lancé dans des recherches sur des morts, dans la nécromancie. Il avait alors été châtié et banni de l’Ecole et s’était progressivement laissé emparer par la magie et avait basculé dans le camp des Ténèbres. Il avait continué ses recherches en parallèle de son nouveau poste de commandant des armes des Ténèbres. Un jour, alors qu’il expérimentait une nouvelle formule, quelque chose qu’il n’avait pas prévu arriva. Son âme fut dissociée de son corps, et dût rapidement se trouver une nouvelle enveloppe. Elle se précipita alors dans une armure noire et en fit son corps. Plus tard, après avoir beaucoup avancé dans ces recherches, il en était arrivé à une solution pour rallonger son existence qui consistait à faire ingérer une potion à ses victimes puis à les tuer, et enfin, quand leur âme quittait leur corps, à l’aspirer. Cependant il s’était rendu compte que la personnalité des hôtes s’intégrait à la sienne, et était alors envahit par elle. C’était ce qui lui était arrivé dernièrement, avec un humain qui apparemment était très attaché à cette jeune femme.

Et le voilà, à présent derrière cette dites femme, prêt à abréger ses jours pour être enfin débarrassé de tout souvenir ne lui appartenant pas et reprendre ses occupations.
Elle était frêle, il n’en ferait qu’une bouchée.
D’un geste lent, il dégaina son épée qui brilla à la lueur d’une des torches qui éclairaient la salle.